"
Une expérience de spectateur. Un mouvement à traverser plutôt qu’à
regarder. L’oreille voit ce que l’œil imagine. Harmonie
d’obscurité et de son.
Après
une station prolongée dans le noir le plus épais (si rare maintenant au
théâtre des réglementations), de-ci de-là, un phare, une balise de
survie, l’éclat de la peau immergée dans une profondeur abyssale, la
lampe frontale de mineur, la flamme d’une allumette qui s’éteint trop
vite… ça soufflait fort, ça tempêtait même beaucoup au fond de la mine,
dans le ventre de la baleine !
Musique
des tempêtes, de toutes les tempêtes de Melville à Rachilde. Ce serait
peut être cela qui s’explose dans l’obscurité, se réfléchit dans
l’infinie variation des noirs.
Rien
n’est dit explicitement ou presque. Des auteurs éminents protègent ce
cap finistérien, camarades un peu malades, en permission de sortie du
panthéon pour quelques jours à la pointe du Raz. Quelques téméraires
sont embarqués dans le rafiot des armoires, mais souffrant d’un mal de
mer tenace, ils se fichent de la moitié comme du quart de ce qu’ils ont
à nous dire tant les vibrations furieuses des cordes et l’attaque des
archers recouvrent toute délivrance sensée.
Du
théâtre ? ça sera difficile à avaler pour certain pas d’identification
possible, pas de visage à idolâtrer, la beauté réelle des acteurs se
manifeste dans l’oubli que nous avons de l’art dramatique. Et pourtant
les ouvriers de cette secousse sismique ne sont pas des dieux se
mouvant avec dextérité dans le noir mais des acteurs dans l’acceptation
rare de ne pas être dévisagés, envisagés.
Une
bande autour de Venturelli. Pas de pédigrés académiques. Des
désargentés obstinés tout aussi furieux dans la démesure (d’un
Castellucci, par exemple).
De la danse
? à l ‘aveuglette et ça déménage furieusement, les entrechats se font
dans le noir.
De
la Musique ? L’orchestre des vestiges. Une symphonie de vestiaires. Et
les envolés d’une diva au dessus des fossiles de l’âge d’or industriel.
"
Anne Baudoux
Comédienne
- février 2015
|
|