Note
d’intentions
Même
si… « l’imagination qui dresse son orgie ne trouve qu’un
récif aux
clartés du matin », comme le dit Baudelaire, « chaque îlot
signalé
par l’homme de vigie est un Eldorado promis par le Destin ».
Le titre provisoire du
chantier « Engoujures et damede nage »
annonçait une circulation - « tirer des bords » - à partir de
la métaphore du phare et de son gardien.
Du fond du gouffre obscur, aimanté à son oreille, autour de la
sentinelle
circule le son – un abyme béant, et quelquefois un cantique muet.
L’oreille au
guet dans un ordre machinal. Un escalier de vertige où s’abîme la
lumière à
travers l’espace. Le temps est impassible. Le jour décroît, la nuit
augmente.
Le vide, le noir, et le nu. Les œuvres des artistes dans notre nuit
peuvent
être pour nous une manière d’éviter quelques naufrages, métaphore qui
sera
aussi exprimée…
Comment
prendre des mesures non seulement à l'aune humaine et terrestre, mais
donner à
sentir le mystère de la dimension métaphysique et cosmique qui nous
englobe,
des distances entre ciel et terre, à une mesure où le temps, la
finitude de
toute chose et l'ironie des dieux seront pris en compte.
Des
relais invisibles de courants que l'on n’entend pas, ne voit pas, mais
circule
une unité mouvante par saisie intuitive, par auscultation des corps,
une écoute
attentive des corps physiques, minéraux, bois, métal, humains.
L’écoute
attentive de leurs résonances, de leurs rythmes, qui ne sont
accessibles que
par empathie, par saisie intuitive, et non pas par vivisection et
examen
minutieux des éléments disjoints des choses et des faits que l'on peut
appréhender.
Etre tout à la fois le gardien
de phare,
la mer, les naufragés, saisir les valeurs créatives des mirages, des
perceptions ambigües, saisir que tout ce qui brille n'éclaire pas.
Quelque
chose entre le vu, le chu et le relevé.
Le
premier partenaire (notre appontage de comédien) dont il faut écouter
les
disponibilités, les seuils et les mesures, c'est le lieu. La
spatialisation du
son ne sera pas un effet de l'écriture, plaqué comme une miniature à
l'intérieur d'un lieu, mais la trace du laborintus, du travail à
l'intérieur,
de l’écoute sensorielle et sensuelle des matériaux et des dimensions
qui le
construisent. C'est, à chaque rencontre de lieu, trouver "l'accord"
avec les corps, les objets. C'est la trace sensorielle de ce voyage qui
se
dessine et s'estompe tel le sillage du bateau dans l'eau que nous
venons
partager. Nous, qui ne sommes toujours pas rentrés à Ithaque,
traversés
par cette traversée, nous sommes à la fois les noyés, et chacun tente
d'être le
gardien de son phare.
Une
série d'un même objet manufacturé, l’armoire - vestiaire en métal -,
porteur de
son histoire, de sa mémoire (elles sont souvent la marque de la
frontière, car
elles contiennent la singularité intime de leur utilisateur et gardent
au
secret lettres, photo, linge, livres,...). Elles seront les partenaires
des acteurs,
comme eux porteurs de sons (mémoire enregistrement). La finalité n’est
pas une
composition musicale à atteindre. Ce qui nous intéresse c’est que
l’armoire
soit l’amplification de l’implication des gestes, du poids du corps, et
donne à
entendre ce corps dans le son. Ces armoires seront les partenaires des
acteurs
comme porteurs de lumière, et costumisées (cordes préparées,
harpons-archets),
pour que leurs corps de métal révèlent à l'oreille les sons qu'elles
contiennent. En duo avec les acteurs, elles permettront dans un premier
temps
de dessiner et de révéler une exploration acoustique et des espaces
scéniques
en train de se construire et se défaire. Partition corps-et-graphique
différente pour chaque lieu et pour chaque comédien. Tous les éléments
de la
mise en scène se nouent, se dénouent et se renouent. Le plateau est
comme une
île car lumières et sons sont émis du plateau par les comédiens qui
assurent
cette autonomie du navire.
Aller
à dessein de tenter de donner à sentir, à travers cette
métaphore de bateau-fantôme, comment le théâtre peut embarquer des
voyageurs
pour une navigation à vue dans le noir. L'équipage des acteurs accordés
encordés traverse les éclats et les apparitions des fantômes d'Achab,
de Moby
Dick, de Jonas, de Nemo, Boutès, et d'autres du voyage intérieur plus
statique
comme en détiennent les prisonniers politiques dans les geôles, et
aussi les
langues de Didier Georges Gabily, Buchner, Jean-Pierre Abraham,
Blanchot,
Melville, Malcolm Lowry.
Martine
Venturelli