Celui qui ne connaît pas l'oiseau le mange...
 
Note d'intention 2
 
… Ce rêve que nous n’entrevoyons encore que par brèves et rares lueurs. L’image du rêve une sorte d’empreinte fugace. Dans la vie nocturne sans garder aucun point de repère au-dehors. On oublie la lumière, tout se passe dans le rêve et la nuit. C’est souvent le rêve qui dispose de la véritable mémoire. C’est peut-être les images des fantômes qui nous habitent qui font naître nos visages intérieurs. Elles nous mènent vers l’obscur de la chair. Penser le rêve comme « imaginaire du langage », l’image comme un souffle, une haleine qui s’éteint et se consume, une respiration éclairée. Le souffle, c’est de l’air et de l’absence. Extérieur ou intérieur au corps, il est de toute façon les deux à la fois.
Après, sentir l’image comme une chose une. On sent que c’est une chose complexe, multiple, séparable. Pourtant il ne s’agit pas de cultiver essentiellement le hasard, dont on sait trop bien qu’il ne manque jamais à la vie.
Dans les circonstances du rêve, chaque détail est précis. Dans la vie qui passe vite, un geste peut durer longtemps. On ne distingue plus « l’objet » sur le fond du temps et de l’espace, il se confond avec eux, se perd en eux. Passant du jour à la nuit, il contient l’espace et le temps indéfinis, les quitte, tantôt seul tantôt dissout, il ne forme plus un tout distinct, il absorbe tout. Une continuelle mobilité qu’aucun acte d’intellection ne peut arrêter. Mémoire.
La parole manque…
L’émission de la parole ne résulte-t-elle pas, au fond, d’une passagère empreinte de l’air. Nous pressentons peu à peu que c’est là-bas, au fond du sommeil, au terme de ces fugitives lueurs de rêves que s’écoule le grand fleuve de notre vie qui se mélange à l’univers, que c’est dans le corps de ces ombres fuyantes, si lourdes parfois colorées et sensibles que se passe notre histoire et celle de l’homme.
La campagne qui passe aux vitres d’un train.
Les mots contiennent les fleuves, les fleuves entraînent les mots dans leur cours avec toutes les légendes, les souvenirs, les existences, le fleuve toujours nouveau où aucune pensée ne se lave deux fois, et la nuit descend dans la chute lente et sans cesse plus glissante des phrases que nous entendons, la résonance inouïe des mots que nous sommes habitués à entendre si légèrement. C’est d’abord la musique qui nous est proposée, comme si le rêve n’était pas fait surtout d’images, on y voit ce que l’oreille peut reconstruire comme images.
La voix nous ébranle et réveille les multiples voix qui dorment au fond de nous. La matière de la mémoire sous une forme libérée, à la limite des formes de la musique.
Polyphonie des temps, palimpseste des signes, il faut encore que l’esprit et le sens se dilatent, il faut que le corps et l’intellect puissent s’abandonner au fond de cette humanité mal explorée qui dort au fond de nous, à l’abri des rayons du jour, ne toucherons-nous pas notre votre substance d’astre, le noir de l’étoile.

Martine Venturelli