... Un vrai étonnement. Dans le noir presque intégral de la salle de spectacles, des sons et des chants s'élevaient avec une précision inouïe, de longues, très longues complaintes sur fond d'extraordinaire maîtrise sonore et physique du groupe. Nous plongions dans un monde ancien, mais en rien complaisant - loin du "théâtre des racines" accompagné des manifestations physiques d'un excès sur-joué - bien au contraire, j'étais confronté à un théâtre des sons qui se dressait noblement, avec une harmonie hors-pair, constructions subtiles et étonnantes. Je reconnaissais une réaction contre l'autorité contagieuse du théâtre visuel qui regorge sur l'ensemble des scènes actuelles. Dans le noir de la salle, ici ou là, des fragments de corps surgissaient, des mots brillaient avec une précision musicale, des gestes se dessinaient avec une fluidité particulière. Voici un théâtre, me disais-je, qui émerge du plus profond de lui-même, théâtre sans sécurité ni cliché. Sorti de la salle, j'éprouvais un sentiment de confiance dans ce groupe et dans ses projets tout en regrettant tant de soirées ratées dans des salles et face à des spectacles autrement plus réputés. Il me semblait que je venais d'assister à un essai théâtral dans le sens le plus accompli du terme, à savoir un essai qui ouvre l'horizon imaginaire et marque le corps par l'empreinte d'une expérience inconnue auparavant. Un voyage dans la nuit traversée par les éclairs des mots et les apparitions étranges des corps jeunes, enlacés ou dissociés, apparitions sur la paroi de cette grotte qu'est le théâtre qui, chose rare, me semblait parvenir alors à sa dimension primordiale.

Georges Banu,

Président d'honneur de l'association Internationale des Critiques de théâtre
Professeur d'études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle - Paris
Co-rédacteur en chef de la revue Alternatives théâtrales
Directeur de la série Le Temps du théâtre - éditions Actes Su
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